Éditorial
LE
VITRAIL
Isabelle Pallot-Frossard
Directrice du LRMH
Depuis
quand le vitrail a-t-il quitté la catégorie subalterne
des arts décoratifs, pour prétendre à celle, autrement
reluisante, des Beaux-Arts ? A-t-il d'ailleurs aujourd'hui véritablement
acquis le statut de peinture sur verre, digne égal de la peinture
de chevalet? Ce n'est pas certain dans tous les esprits. On peut en
voir pour preuve la caractère artisanal de l'acte de restaurer
une verrière, longtemps conçu comme le prolongement de
l'acte de créer, avec le même geste, les mêmes outils
et les mêmes techniques, sans l'apparat de l'analyse critique
qui préside depuis plus d'un demi-siècle à la restauration
des tableaux. Les premières interventions " modernes "
de conservation et de mise en valeur, appuyées sur des études
scientifiques des oeuvres et des techniques à mettre en jeu,
ne remontent qu'aux années 1970, avec les restaurations des verrières
occidentales de la cathédrale de Chartres, appuyées sur
les travaux du Laboratoire de recherche des monuments historiques nouvellement
crée, et sous l'oeil vigilant des meilleurs historiens, Louis
Grodecki, Jean Taralon, Jean-Jacques Gruber. Une grande attention, une
vraie érudition, un respect incontestable de l'oeuvre, des analyses
scientifiques, mais pas encore de discours formalisé autour de
ces oeuvres que l'on découvre alors sous un jour nouveau, grâce
aux techniques de nettoyage récemment mises au point et qui déclenchent
l'avalanche de critiques que l'on sait.
Le premier texte théorique normatif consacré à
la restauration des vitraux sera celui des " Directives pour la
conservation des vitraux anciens ", édité par le
Comité technique international du
Corpus Vitrearum Medii Aevi en 1989,
prudent, conservateur, fustigeant les dangereuses pratiques d'atelier,
parfois encore en usage. Ce document important vient d'être mis
à jour.
L'inexorable ascension du vitrail au rang d'oeuvre d'art, débarrassée
de ses fonctions de clôture et de production artisanale, ne sera
achevée que lorsque apparaîtront les premiers restaurateurs
de vitraux spécialisés, de formation universitaire, issus
des mêmes enseignements que les restaurateurs de peinture ou de
sculpture. Non qu'il faille nier ou négliger les compétences
de certains ateliers qui se sont formés aux nouvelles technologies
et se montrent capables des interventions les plus prudentes, mais cette
nouvelle génération a su valoriser une nouvelle approche
de la conservation des vitraux et surtout de l'étude préalable
à la restauration, plus finement observatrice, plus méthodique,
source d'une connaissance plus approfondie de l'histoire des uvres
et des techniques.
Un dossier comme celui que Coré consacre aujourd'hui à
la conservation et à la restauration des vitraux, éminemment
pluridisciplinaire, associant restaurateurs, architectes, conservateurs,
consacre avec succès cette évolution et met en valeur
quelques principes fondamentaux : nécessité des étude
techniques, historiques et scientifiques, de l'entretien continu, et
surtout de la conservation préventive, à travers la mise
en place des verrières de protection, une des rares techniques
de conservation reconnues unanimement au niveau international. Théorie,
méthodologie et informations pratiques font de ce numéro
spécial de Coré un évènement, qui fait suite
au dossier consacré il y a quelques mois par la revue Monumental
au même thème, mais aussi un véritable outil de
travail pour ceux qui s'interrogent sur la manière d'aborder
ces uvres monumentales et précieuses à la fois que
sont les vitraux.