Editorial

Où sont les jardiniers ?

par Marie Berducou

Ces quelques lignes autour de la formation des restaurateurs seraient sans doute bien différentes si elles avaient été rendues dans les délais initialement impartis à l'auteur ... L'indulgence du comité de rédaction de Coré lui permet en effet de les écrire in extremis, et de croiser ainsi deux expériences récentes : février, une journée publique à l'auditorium du Louvre consacrée à la dimension européenne du sujet ; avril, une semaine de travail intensif et prospectif à l'ICCROM au sein d'un groupe interdisciplinaire réunissant sur ce thème une douzaine de professionnels venant de tous les continents.

En France, le métier de restaurateur a connu ces deux dernières décennies une substantielle redéfinition. On peut y voir, au moins en partie, l'impact de l'activité d'une génération nouvelle de professionnels. Issue des premières formations supérieures apparues dans les années 80, cette génération qui pratique le métier depuis 15 à 20 ans, a thésaurisé son expérience en disposant des ferments déontologiques et méthodologiques acquis lors de sa formation initiale. Elle est à présent au meilleur de sa compétence. Nul ne s'étonne aujourd'hui de voir un restaurateur publier, documenter rigoureusement une intervention, mener l'étude préalable ou établir le cahier des charges d'un programme complexe de conservation-restauration. La profession a aussi répondu sans délai à la nécessité de remplir de nouvelles missions : la conservation préventive notamment, mais aussi l'enseignement, et la recherche appliquée. Elle semble de mieux en mieux capable de gérer, intellectuellement et économiquement, le transfert parfois difficile de nouvelles technologies comme le laser, l'informatique, l'imagerie numérique… Enfin, elle intègre à un rythme soutenu l'élargissement spectaculaire du champ patrimonial : photographies, films, plastiques, machines, moteurs, etc. Cette évolution remarquable est généralisable à l'Europe, comme l'est hélas la relative indifférence qui l'entoure. Un peu partout, le métier a changé et les professionnels ont déployé, au service de la conservation du patrimoine, des efforts d'adaptation considérables. Pourtant leur image médiatique, leur statut social, la prise en compte de leurs diplômes, la reconnaissance de leurs nouvelles qualifications et de l'appellation " conservateur-restaurateur " que les organismes et les textes internationaux ont choisie pour les désigner, n'ont pas suivi. Dans le même temps, les " nouveaux métiers du patrimoine " fleurissent à une cadence qui s'est brusquement accélérée : animateurs, scénographes, médiateurs, régisseurs, préventeurs.. ! La terminologie s'épanouit avec luxuriance, pas seulement sur le pré carré de notre terreau national, au delà aussi d'où le vent international nous a apporté quelques uns des hybrides cités et essaime déjà de nouvelles espèces, " conservation scientist ", par exemple. En pratique, ces nouveaux venus cherchent déjà à cerner les contours de leurs missions respectives dans les institutions patrimoniales pour lesquelles ils sont désormais nombreux à travailler, bien qu'aucune réflexion concertée n'ait présidé à leur arrivée progressive, réponse spontanée aux besoins ponctuels ou permanents que l'évolution de ces institutions engendrait. Tandis que les restaurateurs, acteurs pourtant incontournables depuis si longtemps, n'ont toujours pas trouvé leur juste place dans ce paysage foisonnant. Manquerait-on de jardinier ? Les responsables européens des formations de restaurateurs en ont fini avec les questions ouvertes par le chantier des premières filières post baccalauréat : niveau, contenus, ratio théorie/pratique ont trouvé des réponses satisfaisantes et convergentes. L'ordre du jour, on l'a vu au Louvre, porte désormais sur l'accès au doctorat, les équivalences de diplôme, les échanges internationaux, l'opportunité de créer des niveaux intermédiaires de formation pour répondre aux besoins émergeants de qualifications techniques plus limitées. A une échelle géographique plus large encore, après que l'effort se soit concentré partout sur la formation initiale des restaurateurs, sur leur approche scientifique et la technicité de leurs interventions, se dessine désormais le devoir d'anticiper de nécessaires recentrages : remettre le patrimoine au cœur des enjeux de société, et la réflexion sur les valeurs culturelles dont il est porteur au cœur de tout acte de conservation ; construire un langage commun à toutes les disciplines impliquées ; faire tous ensemble de la conservation-restauration un pont utile entre les biens culturels et leurs usagers d'aujourd'hui et de demain. Ces graines là peuvent être semées à nouveau avec force, dans les programmes de formation nationaux et internationaux destinés aux restaurateurs, aux conservateurs, aux scientifiques, bref à tous les acteurs du champ patrimonial. Mais pour qu'elles portent des fruits, il y a urgence à donner quelques soins politiques au jardin.

retour

retouraccueil