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Portrait
Georges
Henri Rivière (1897-1985), un maître de la rigueur
par André Desvallées
Les éloges n'ont pas manqué à Georges Henri
Rivière dans les mois qui ont suivi sa mort, le 24 mars 1985. Faut-il
encore en ajouter ? Sinon pour rappeler que ses intérêts étaient tellement
multiples que peu de secteurs lui étaient indifférents touchant à la muséologie
- j'allais dire à l'existence, à la vie, tellement il était curieux de
tout, et pas seulement de nature, de création artistique ou de musée.
On a surtout mis en avant les avancées qu'il apporta à la mise en exposition
(d'ailleurs plutôt méconnues en France, sinon les grandes rénovations
et les grands travaux n'auraient pas été affectés de tant d'erreurs de
conception !). On a moins parlé de l'esprit pionnier qu'il a aussi manifesté
pour tout ce qui touchait à la conservation. Là, comme ailleurs, il le
dut sans doute en bonne partie à ses fonctions de directeur de l'ICOM,
lesquelles le mettaient en rapport avec les plus novateurs parmi ses collègues.
Paul Coremans était de ses amis (voir la photo illustrant le n°3 de Coré,
p.62) et il l'appuya fortement dans ses créations d'organismes internationaux.
Encore fallait-il qu'il eût en lui-même assez d'ouverture d'esprit, non
seulement pour provoquer ces rencontres, mais aussi pour accueillir les
nouveautés qui lui étaient présentées - ou qu'il rencontrait par hasard.
On s'est souvent contenté de le considérer comme primesautier, du fait
de son attitude existentielle, et de là à considérer qu'il n'aurait pu
s'intéresser à des choses aussi sérieuses que celles qui touchaient à
la conservation. C'était oublier qu'il attachait d'autant plus d'importance
à un secteur d'activité qu'il s'y sentait le plus éloigné par sa formation.
Il pouvait se montrer, si l'on peut dire, 'volage' en expographie, car
il était, là, complètement à l'aise, comme en son élément naturel (ce
qui n'excluait en même temps la plus grande rigueur, aussi bien dans la
programmation et dans la préparation que dans la mise en place des expositions)
; par contre (mais ces deux activités étaient tellement indissociables),
dès lors qu'il abordait le champs de la conservation, ses exigences se
manifestaient à la limite de la maniaquerie. Comme il a été remarqué à
propos du portrait de Jean Taralon, pourtant plus jeune, la récente expression
'conservation préventive' n'avait pas encore vu le jour lors de la disparition
de Georges Henri Rivière. Mais le concept existait bien déjà ! En tout
cas l'attitude qu'il avait à l'égard des biens culturels, et même naturels,
témoignait déjà bien d'un tel souci. Suivant très vite les conseils de
Françoise Flieder, il imposa le montage des documents graphiques sur un
carton neutre, ainsi que leur rangement en des meubles étanches et d'un
matériau neutre. Lorsqu'il était en activité la mode n'était pas encore
de porter des gants pour manipuler les documents et autres objets, mais
les précautions qu'il faisait prendre sur les chantiers d'exposition étaient
du même ordre. Il n'était pas bon que quelqu'un s'avisât de poser à même
le sol, et non pas sur une table de travail s'il était de petite dimension,
quelque objet en provenance des ateliers de restauration, et même des
réserves, ou, s'il était d'une taille plus importante, sans avoir déroulé
préalablement une bande de papier kraft pour l'y disposer. Ensuite de
quoi, chaque groupe d'objets devait être recouverts au minimum de feuilles
de papier de soie. Et lorsque l'on avait à les découvrir pour affiner
les choix de l'exposition, pour les dessiner, pour faire le plan des vitrines,
il ne fallait pas manquer de les couvrir à nouveau. Il était bien conscient
de ce que les mains transportent naturellement une humidité permanente
qui tache le papier, qui provoque des moisissures sur le cuir et des oxydations
sur les métaux. Tout cela nous paraît à ce jour évident. Et pourtant !
… Il n'y a pas si longtemps, j'ai vu avec étonnement des conservateurs
espagnols ou des conservateurs du Musée national de Taiwan utiliser des
gants là où des Français l'eussent juger superflu. Il est vrai que les
autres se dénomment généralement 'curators' (qui prennent soin), ce qui
les incite peut-être à plus de soin que quelqu'un qui s'appelle seulement
'conservateur' ! Mais là ne s'arrêtaient pas les précautions que prenait
GHR - ou qu'il faisait prendre - lors des chantiers d'exposition ! En
effet, il ne suffisait pas pour lui d'étaler, de faire poser ou d'accrocher
dans les vitrines, sans poursuivre les précautions qu'il avait prises
en amont. Il manifesta des exigences majeures sur les conditions climatiques
des lieux d'exposition, comme il les manifesta pour les locaux de conservation.
Et il tint bon dans ses exigences, malgré ce qui , à l'époque (les années
soixante) apparaissait à l'administration comme des surcoûts excessifs.
Je me souviens encore de l'envolée d'André Malraux (lors d'une réunion
de mise au point sur l'avancement du chantier, à laquelle je remplaçai
GHR, alors en mission à l'étranger) : "puisqu'il nous faut faire un choix,
nous ne climatiserons pas les bureaux, mais nous climatiserons les réserves".
Ce qui fut fait - au grand dam du personnel, prisonnier chaque été dans
la cage de verre de ce 'mur-rideau', lui-même d'une architecture d'avant-garde,
mais qui aurait supposé des moyens financiers dont l'État ne disposait
pas en ces temps déjà lointains. Ce fut, en France, le premier musée climatisé,
alors que les techniques de climatisation étaient à peine sorties de l'expérimentation[
et alors même que l'on construisait, dans les mêmes années, un Musée du
Havre qui offrait ses peintures à tous les rayons du soleil]. Et, lorsqu'il
s'est agi de la construction des vitrines, [fixes pour la Galerie d'Études,
démontables pour la Galerie culturelle, mobiles pour la salle d'exposition
temporaire, ]les mêmes exigences furent affirmées tant auprès de l'architecte
que du constructeur : d'une part une étanchéité maximale des contenants
était requise, d'autre part non seulement les salles étaient climatisées,
mais toutes les grandes vitrines étaient raccordées directement au plafond
dans lequel débouchaient les gaines d'air conditionné. [Pour ce qui concerne
la première prescription, il faut bien le reconnaître, le résultat des
fabrications n'a pas été tout à fait au niveau des exigences puisque,
vingt ans après l'inauguration, il a fallu faire un dépoussiérage général.]
Mais un autre point a toujours été un souci majeur de GHR, celui de l'éclairage.
Sans être lui-même physicien, et outre les effets optiques qui le préoccupaient
pour l'exposition, non seulement il avait compris que la nature et la
puissance des lampes avait une influence sur le climat thermique, mais
il se souciait fortement des incidences que pouvaient avoir les UV et
les IR. Les articles de Gary Thomson et le manuel de Plenderleith étaient
notre bible. Nous étions attentifs aux résultats des groupes de travail
et des expérimentations d'alors et architectes et muséographes durent
mettre strictement en application non seulement les normes d'humidité
relative que préconisaient les experts de l'Icom et de l'Iccrom mais aussi
celles des niveaux d'éclairement, même si, pour ces derniers, il fallait
se battre contre des fabricants qui n'offraient pas un grand choix de
matériel et incitaient à choisir plutôt celui qui produisait le plus de
thermies. Cette rigueur, ce respect de l'objet, qu'il m'a fait connaître
par le menu pendant des années, dans le cadre de son musée, Georges Henri
Rivière l'exerçait également à l'extérieur, à la fois dans les nombreux
autres établissements dans lesquels il était plus ou moins impliqué, lorsqu'il
avait à traiter de conservation pour un monument historique ou un site,
qu'il fût naturel ou culturel, simple caillou ou pierre taillée, arbre,
brin d'herbe ou chaise défoncée. Lorsque, à partir de la fin des années
soixante, il s'occupa plus particulièrement des parc naturels, il manifesta
les mêmes exigences de conservation qu'il avait eues pour les musées sous
toit et, par exemple, il se souciait fort de ce que la fréquentation par
le public, auquel il attachait la plus grande importance, ne se fit pas
au détriment de la conservation. Certains ont prétendu qu'il était plus
attaché aux objets qu'aux êtres humains et que là était la source de son
attitude à l'égard de la conservation. Peut-être ! En tout cas il les
aimait. Et ses choix en matière de restauration étaient à l'unisson. Ces
quelques traits évoqués d'un personnage hors de pair, dont la nature et
la curiosité d'esprit ont suppléé à l'insuffisance de formation scientifique
de départ, il n'y eut rien d'étonnant à ce qu'il devint à la fois un guide
et un exemple pour beaucoup dans un domaine où l'on ne l'attendait pas
- à l'étranger plus qu'en France, certes (du moins chez ceux de sa génération).
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