numéro 5 (novembre 1998)
Editorial
Restauration & Recherche
 
De même que la radiographie et l'analyse de sang paraissent aujourd'hui indispensables au médecin, les analyses de laboratoire (physiques, chimiques et biologiques) sont indispensables au restaurateur. 

    L'accumulation des analyses scientifiques permet progressivement, sinon de percer le mystère des techniques de création, tout au moins de faire reculer l'ignorance dans ce domaine : plus les laboratoires travaillent, mieux les œuvres d'art sont connues, plus précise est cette part d'histoire de l'art et d'archéologie qu'est l'histoire des techniques ; il s'agit de recherche en sciences humaines et non de recherche en conservation-restauration. L'accroissement des connaissances qualifie de fondamentale cette recherche. 
    Cette traque de la matière suppose la mise au point de méthodes d'investigation de plus en plus sélectives, de plus en plus fines et de moins en moins destructives : il s'agit de recherche en sciences physiques. L'application des instruments d'investigation au patrimoine culturel qualifie cette recherche d'appliquée ou de finalisée. 
  
    Mais la recherche en conservation-restauration est bien autre chose : elle a pour but de faire progresser les méthodes de prévention (conservation matérielle) et de traitement (restauration). La focalisation vers un patrimoine pratique et précis qualifie cette recherche de finalisée. 
    Elle est régie par deux grands principes : l'efficacité croissante des mesures et leur innocuité vis à vis des biens culturels. Si le sujet concerne la survie physique du patrimoine, la recherche relève du domaine technique ; si le sujet concerne la lecture du bien culturel restauré, la recherche relève de l'esthétique : on appellera technico-esthétique cette recherche en conservation-restauration. La difficulté réside souvent dans ce domaine à traduire en termes de sciences physiques l'efficacité des mesures de conservation-restauration et leur innocuité vis à vis de l'objet. 
    Un travail conjoint du restaurateur, du scientifique et de l'historien d'art, chacun à la place qui est la sienne conforme à ses compétences traduit l'exigence d'interdisciplinarité de la recherche en conservation-restauration. Dans cette équipe, le rôle du restaurateur est essentiel et s'apparente au rôle du praticien dans la recherche médicale. 
    En médecine les observations cliniques des praticiens sont à l'origine des programmes de recherche afin de lutter contre la maladie ; de même en conservation-restauration, les précieuses remarques des restaurateurs sur l'état de conservation des œuvres dans telle atmosphère ou à la suite de telle intervention sont l'humus où s'enracine le projet d'une recherche pertinente afin de mieux conserver et de mieux restaurer le patrimoine. 
    Comme en médecine la nature de la recherche, en conservation-restauration est expérimentale. 
    La recherche médicale met en jeu des laboratoires et des médecins selon une éthique fixée et des protocoles établis ; la recherche en conservation-restauration doit aussi mettre en jeu les historiens d'art, les restaurateurs et les laboratoires dans des équipes dont les protocoles d'expérimentation et l'éthique doivent être tout aussi rigoureusement fixés et suivis pour le patrimoine culturel que pour les êtres humains : la première expérimentation en conservation-restauration ne doit pas plus s'exercer sur le bien culturel qu'en médecine elle ne se fait en première ligne sur l'homme. 
  
   On n'essaie pas une méthode tout à fait nouvelle de nettoyage ou de consolidation sur un joyau du patrimoine culturel, au risque de décevoir les amateurs de nouveauté et les chercheurs de scoop en restauration. Un savant protocole du type de ceux exigés par la mise en circulation de médicaments est tout autant exigible en conservation-restauration des biens culturels qu'en matière de santé. 
 
 

 

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