De même
que la radiographie et l'analyse de sang paraissent aujourd'hui indispensables
au médecin, les analyses de laboratoire (physiques, chimiques et
biologiques) sont indispensables au restaurateur.
L'accumulation
des analyses scientifiques permet progressivement, sinon de percer le mystère
des techniques de création, tout au moins de faire reculer l'ignorance
dans ce domaine : plus les laboratoires travaillent, mieux les œuvres d'art
sont connues, plus précise est cette part d'histoire de l'art et
d'archéologie qu'est l'histoire des techniques ; il s'agit de recherche
en sciences humaines et non de recherche en conservation-restauration.
L'accroissement des connaissances qualifie de fondamentale cette recherche.
Cette traque
de la matière suppose la mise au point de méthodes d'investigation
de plus en plus sélectives, de plus en plus fines et de moins en
moins destructives : il s'agit de recherche en sciences physiques. L'application
des instruments d'investigation au patrimoine culturel qualifie cette recherche
d'appliquée ou de finalisée.
Mais la recherche
en conservation-restauration est bien autre chose : elle a pour but de
faire progresser les méthodes de prévention (conservation
matérielle) et de traitement (restauration). La focalisation vers
un patrimoine pratique et précis qualifie cette recherche de finalisée.
Elle est régie
par deux grands principes : l'efficacité croissante des mesures
et leur innocuité vis à vis des biens culturels. Si le sujet
concerne la survie physique du patrimoine, la recherche relève du
domaine technique ; si le sujet concerne la lecture du bien culturel restauré,
la recherche relève de l'esthétique : on appellera technico-esthétique
cette recherche en conservation-restauration. La difficulté réside
souvent dans ce domaine à traduire en termes de sciences physiques
l'efficacité des mesures de conservation-restauration et leur innocuité
vis à vis de l'objet.
Un travail conjoint
du restaurateur, du scientifique et de l'historien d'art, chacun à
la place qui est la sienne conforme à ses compétences traduit
l'exigence d'interdisciplinarité de la recherche en conservation-restauration.
Dans cette équipe, le rôle du restaurateur est essentiel et
s'apparente au rôle du praticien dans la recherche médicale.
En médecine
les observations cliniques des praticiens sont à l'origine des programmes
de recherche afin de lutter contre la maladie ; de même en conservation-restauration,
les précieuses remarques des restaurateurs sur l'état de
conservation des œuvres dans telle atmosphère ou à la suite
de telle intervention sont l'humus où s'enracine le projet d'une
recherche pertinente afin de mieux conserver et de mieux restaurer le patrimoine.
Comme en médecine
la nature de la recherche, en conservation-restauration est expérimentale.
La recherche
médicale met en jeu des laboratoires et des médecins selon
une éthique fixée et des protocoles établis ; la recherche
en conservation-restauration doit aussi mettre en jeu les historiens d'art,
les restaurateurs et les laboratoires dans des équipes dont les
protocoles d'expérimentation et l'éthique doivent être
tout aussi rigoureusement fixés et suivis pour le patrimoine culturel
que pour les êtres humains : la première expérimentation
en conservation-restauration ne doit pas plus s'exercer sur le bien culturel
qu'en médecine elle ne
se fait en première ligne sur l'homme.
On n'essaie pas une
méthode tout à fait nouvelle de nettoyage ou de consolidation
sur un joyau du patrimoine culturel, au risque de décevoir les amateurs
de nouveauté et les chercheurs de scoop en restauration. Un savant
protocole du type de ceux exigés par la mise en circulation de médicaments
est tout autant exigible en conservation-restauration des biens culturels
qu'en matière de santé.
|