Ambre
(extraits)
S'il est une substance
naturelle ayant retenu, pour ne pas dire accaparé l'attention de
l'homme dans tous les domaines depuis l'époque historique et sans
doute même avant, c'est l'ambre.
En effet, par rapport à d'autres substances
certainement plus utiles à l'homme, nous disposons sur cette résine
d'une documentation pléthorique par son volume, mais dont l'impact
scientifique est relativement fort en retard par rapport à d'autres
études, par exemple celles sur la connaissance de la colophane.
D'autre part il existe un problème
de synonymie. En effet, le mot ambre désigne également une
autre substance sans aucun rapport avec la résine. Il s'agit de
l'ambre gris, bien connu en parfumerie, issu des concrétions trouvées
dans le tube digestif du Physeter Macrocephalus (cachalot). Ces concrétions
sont les résidus des becs cornés de pieuvres et de calamars,
nourritures habituelles du cachalot, que ce dernier ne parvient pas à
digérer ni à expulser. Il y a donc lieu de se montrer prudent
lors de la documentation et de bien préciser s'il s'agit d'ambre
jaune (résine) ou d'ambre gris (parfumerie).
Le lieu où l'ambre jaune est le plus
abondant se situe dans les zones côtières de la mer Baltique.
Aucun arbre, aucun végétal susceptible de le produire n'a
pu être identifié dans cette zone, ni ailleurs. Cette résine
est donc totalement fossile, stricto sensu ; elle est exploitée
exactement comme les minéraux sur et sous terre, mais sa densité
faible lui permet de flotter sur l'eau de mer où des pécheurs
peuvent la récolter, ainsi que sur les plages, après les
tempêtes.
Afin de ne pas la confondre avec d'autres
résines trouvées dans le sol, auquel le nom Ambre a été
donné comme nom générique, il y a lieu de bien préciser
: Ambre balte ou Ambre de la Baltique.
Historique
L'ambre est très vieux. Les hommes de
la civilisation de Maglemose, au Mésolithique du nord de l'Europe,
l'ont déjà ramassé et l'ont sculpté, vraisemblablement
après le retrait des glaces et l'apparition de ce qui sera la mer
Baltique.
La découverte de vestiges datant du
Néolithique montrent que son trafic était très intense
le long des grandes routes commerciales unissant alors le nord de l'Europe
et le bassin méditerranéen.
Homère, au 8e siècle avant J.-C,
le cite dans l'Odyssée sous le nom h'lektronc'est-à-dire
êlektron. Ce nom est la racine exacte des mots électron et
électricité, l'ambre s'électrise en effet facilement
par frottement.
Au cours du temps il va recevoir des noms
variés suivant les pays :
-
les Arabes vont l'appeler karabé (tire-paille),
-
les Germaniques vont l'appeler bernstein (pierre
qui brûle),
-
les Français vont l'appeler succin,
-
les géologues vont l'appeler succinite.
Le terme "succin" est à rapprocher de celui
de l'acide cristallin blanc dont on observe la formation en pyrolysant
l'ambre : l'acide succinique.
Agricola avait observé cette particularité
en 1546, sans savoir que c'était un acide. Il faudra attendre les
travaux de Lémery en 1675 pour savoir qu'il s'agit d'un acide volatil.
Vers 1750, Buffon et Linné montrent
que l'ambre est d'origine végétale mais, pour eux, c'est
une substance analogue au pétrole. Analogie réfutée,
à la même époque, par Lomonosov qui défend l'idée
qu'il s'agit d'une résine sécrétée par un arbre,
résine fossile ainsi que le découvre Wrede, savant prussien,
en 1811.
En 1828, Berzélius estime que l'acide
succinique est un constituant préexistant dans l'ambre. En 1864,
E. Baudrimont met en évidence le soufre
dans l'ambre et dose l'élément. Il constate une teneur variable
suivant les échantillons et n'en trouve ni dans les copals ni dans
les dammars.
Entre-temps (1842 et 1845) des auteurs n'ayant
pu identifier une espèce végétale fossile susceptible
de produire l'ambre ont décidé, sans la moindre preuve, de
la baptiser Pinites succinifera (H.R. Göppert, 1842 - Göppert
et G.C. Berendt, 1845).
Rien ne changera plus jusqu'à aujourd'hui,
sinon le nom Pinus succinifera qui succédera au premier sous la
plume de H. Conwentz en 1890.
Ces fantômes ont la vie dure car il
n'est pas rare de trouver leur nom (sans le moindre détail anatomique
quel qu'il soit) et aucun botaniste n'a été capable de rencontrer
un végétal fossile ou vivant producteur d'ambre.
Il faut bien dire que nous ne sommes pas les
seuls à déplorer l'absence de liaison entre l'ambre et son
producteur éventuel.
Il existe pourtant un document digne de foi
que nous versons au dossier. En 1866, un auteur français nommé
Henry Violette a fait paraître à Paris, chez Eugène
Lacroix, éditeur, 15 quai Malaquais, un ouvrage intitulé
Guide pratique de la fabrication des vernis. Il consacre onze pages au
karabé (347 à 358) dans lesquelles, entre autres remarques,
il cite une description faite par le fameux chimiste A.W. von Hofmann d'un
gisement terrestre d'ambre baltique. Celle-ci mérite d'être
citée in extenso.
" Hoffmann, chimiste renommé, n'eut
besoin que de l'invitation du prince (Frédéric Guillaume
IV ou Guillaume 1er) pour se livrer à des recherches qu'il lui était
d'autant plus facile de conduire à une heureuse fin, qu'il se trouvait
au centre d'une grande exploitation. Cette matière s'exploite comme
une mine. L'examen du terrain devenait intéressant. Il présente
différentes couches dont Hoffmann n'indique pas l'épaisseur.
La première est de sable, la seconde d'argile : celle-ci a 15 à
16 pieds d'épaisseur. La troisième est composée d'arbres
pénétrés de sulfure de fer (pyrites martiales), bitumineux
et comme brûlés. Ces arbres n'ont pas de consistance : il
s'en trouve qui ont un très grand diamètre et qui sont assez
bien conservés. Cette couche de bois minéralisé n'est
pas d'une égale profondeur ; quelques voyageurs la portent à
40 et 50 pieds.
Sous cet amas de bois bituminisé
se trouve une couche de sulfures et de sulfate de fer (pyrites de fer et
vitriol de fer ou couperose verte), et il n'est pas rare d'y rencontrer
des morceaux de Succin encore attachés à la partie inférieure
des troncs d'arbre. Ils y sont sous la forme de stalactites. Cette couche
de sulfures et de sulfate de fer repose sur un lit de gros sable. Ce sable
est le réservoir du Succin qui s'y trouve souvent en morceaux disséminés,
mais quelquefois aussi en grosses masses. Sous cette couche de sable, le
banc argileux recommence et arrête l'infiltration du Succin.
suite
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Les gros morceaux d'ambre jaune ont toujours
une forme pyramidale qui atteste la coulée des arbres supérieurs
et qui lève tous les doutes sur son origine végétale.
L'argument le plus victorieux à cet égard est celui qui est
tiré des morceaux de Succin qui pénètrent en partie
dans le sable, et qui tiennent encore par leur extrémité
supérieure à leur souche maternelle ".
On peut s'interroger, pour quelle raison cette
information est restée lettre morte, dans un splendide isolement.
Et il semble qu'après une telle description, on doive être
convaincus que l'ambre a une origine végétale.
De cette observation, il résulte que
l'ambre est une résine végétale, issue d'un arbre.
Origine de l'ambre
Dès 1958, l'un d'entre nous, heureux
possesseur d'un spectrophotomètre infrarouge, a comparé le
spectre d'absorption d'un échantillon d'ambre baltique avec ceux
de diverses autres résines naturelles.
Il s'est avéré que l'unique
résine dont le spectre présentait de grandes analogies avec
celui de l'ambre était la résine kauri. Malheureusement,
à cette époque, les connaissances sur la structure de cette
dernière étaient plutôt limitées.
Aujourd'hui la constitution de la kauri est
devenue un modèle.
La résine kauri est produite par le
Kauri Pine ou Agathis australis.
Les Agathis sont classés par les botanistes
dans le même ordre des Araucariales que les Araucariacées,
famille des Araucarias.
Tous les botanistes et paléobotanistes
sont d'accord sur l'ancienneté de ces deux espèces. Certains
n'hésitent pas à les faire remonter, preuves en mains, au
Trias, c'est-à-dire à au moins 200 millions d'années
et plus, dans les débuts de l'ère secondaire ou Mésozoïque.
Les troncs silicifiés de l'Arizona sont des restes d'araucarias
tandis que des écailles de cônes d'Agathis se retrouvent dans
des roches crétacées (150 millions d'années). Il semblerait
que la naissance de ces derniers ait eu lieu dans l'hémisphère
sud. Mais, tandis que les Agathis y restaient confinés (Australie,
Nouvelle Zélande et îles de cette zone), les Araucarias ont
laissé des vestiges à travers le monde au Mésozoïque
pour se reconcentrer ensuite dans l'hémisphère sud où
se rencontrent actuellement la quasi totalité de ces espèces
vivantes de nos jours.
En d'autres termes, la situation actuelle
est la suivante : d'une part il existe des arbres fossiles sans résine
dans l'Arizona et, d'autre part, des résines fossiles sans arbres
dans la Baltique.
Du fait de sa très grande ancienneté,
il est impossible de déterminer l'âge de l'ambre à
l'aide du carbone 14. Il faut faire appel aux observations des géologues
dont la plupart sont d'accord pour dater l'ambre de l'Oligocène
(entre 25 et 40 millions d'années avant le présent) à
l'ère tertiaire ou Cénozoïque. D'autres n'hésitent
pas à le faire remonter au Mésozoïque, c'est-à-dire
à l'ère secondaire, mais alors la fourchette d'âge
est énorme : entre 65 et 250 millions d'années.
Devant des durées aussi longues (la
plus courte représente 250 000 siècles !) il est assez logique
de penser qu'il a dû survenir nombre d'événements.
En effet, rien ne s'opposait à la présence
d'une abondance d'Araucarias dans une région de structure tertiaire
telle qu'elle est reproduite sur une carte géologique de 1990 de
la région baltique.
Mais alors, pourquoi ne pas retrouver trace
des arbres ? Pour cela il faut revenir à la géologie.
Il se trouve que des événements
très importants et relativement plus proches de nous se sont produits
dans la partie nord de notre hémisphère et ont eu des conséquences
extrêmement importantes. Il s'agit des glaciations qui ont commencé
à la fin du tertiaire (Biber, Donau) et ont persisté par
à-coups pendant tout le quaternaire pour ne disparaître que
depuis 10 000 ans.
Toute l'Europe du nord et la Scandinavie étaient
alors recouvertes d'une épaisse couche de glace (jusqu'à
3 000 mètres).
Qu'ont pu devenir les arbres debout sur le
terrain après une telle occupation par les glaces* ?
Il suffit de penser à de tels gisements,
organisés à la manière de ceux de houille, ainsi qu'à
la possibilité, signalée partout, de rechercher l'ambre dans
des lits de sable, ou à son apparition sur les plages après
les tempêtes, pour en déduire que les forêts du tertiaire
ont été totalement dévastées, le bois transporté
au loin pour faire du lignite, tandis que la résine dure et insoluble
restée sur place a été ensevelie sans difficulté
sous les matériaux d'érosion dus au glacier.
Ces arbres ont très bien pu être
des araucarias car la résine n'a pas la structure d'une résine
de pin classique.
Bien que l'identification des bois, tant historiques
que préhistoriques, ait fait des progrès considérables,
aujourd'hui nous n'avons pas de résultat dans ce domaine qui nous
intéresse.
On est cependant en droit de penser, jusqu'à
preuve contraire, que l'ambre jaune baltique est une résine qui
a été sécrétée par une variété
d'Araucariale à l'Oligocène, dont les échantillons
se trouvent en abondance relative dans des terrains avoisinant la Mer Baltique.
Il n'y a pas, à priori, de raison valable
pour rejeter l'existence de cette résine en d'autres lieux. Mais
elle doit être contrôlée sérieusement par des
essais physico-chimiques et non par des arguments d'autorité verbale,
retransmis par la plume.
Espérons que des travaux seront bientôt
réalisés qui viendront apporter une preuve ou non de cette
hypothèse.
(…)
Extrait de la rubrique "Ambre", qui se poursuit
avec les chapitres suivants :
Nature de l'ambre
Les faits fondamentaux
L'ambre est une résine très
âgée,
conservée dans le sol.
L'ambre est une résine "désespérément"
insoluble.
L'ambre contient systématiquement
de l'acide succinique
L'ambre contient systématiquement du
soufre.
Résultats analytiques récents
Corps mis en évidence dans la partie
soluble
par chromatographie en phase gazeuse.
Traitement de la fraction insoluble
Usages et essais d'utilisation de l'ambre
Ouvrages consultés
ANNEXES
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