Bleu
égyptien
Le bleu égyptien
est certainement le premier pigment synthétique fabriqué
par l'homme, il y a maintenant environ 4 500 ans.
Bien qu'il ait disparu progressivement de la
palette des peintres entre le IIe et le VIIe siècle
de notre ère, époque à laquelle sa fabrication semble
avoir cessé, il n'en est pas moins répertorié au Colour
Index sous la référence :
C.I. PB 31
Ce silicate double de calcium et de cuivre a pour
formule théorique, acceptée par tous :
CaO·CuO·4SiO2
Confirmée par des travaux dont les résultats
ne peuvent être mis en doute, les échantillons anciens de
pigment qui ont été soumis à l'analyse présentent,
comme on le verra plus loin, une composition bien différente de
celle-ci.
D'après M Fouqué (1889), ce silicate
qui cristallise dans le système quadratique, se présente
sous forme de lamelles aplaties parallèlement à la base du
prisme originel, souvent déchiquetées sur les bords, quelquefois
limitées, cependant, par des contours rectangulaires très
nets. Leur longueur moyenne peut atteindre 2 mm, leur épaisseur
dépassant rarement 0,5 mm.
Vues en lumière parallèle, entre
nicols croisés, ces lamelles élémentaires demeurent
éteintes dans toutes les orientations. En lumière polarisée
convergente, on observe la croix et les anneaux caractéristiques
des minéraux cristallins uniaxes, celui-ci étant négatif.
Observées, sur leur tranche, au microscope
avec interposition d'un nicol, ces lamelles offrent un remarquable pléochroïsme
: avec les rayons vibrant suivant l'axe négatif, elles sont rose
pâle ; si les vibrations se font dans une direction perpendiculaire
à cet axe, elles sont bleu intense.
Il est biréfringent (0,031) ; indices
de réfraction e 1,605, w
1,635.
Ce pigment apparaît en Egypte, peut être
sous la IVe dynastie, avec certitude sous la Ve dynastie,
c'est-à-dire vers 2500 av. J.C. On l'a ensuite retrouvé dans
tout le bassin méditerranéen. Il a été mis
au jour à l'occasion de fouilles dans des sites grecs de l'âge
du bronze, entre 3000 et 1100 av. J.C, notamment à Knossos, à
Mycènes, à Tirynthe, à Pilos, à Thera. Le monde
romain l'a aussi utilisé. On en a trouvé, par exemple, dans
les peintures murales et les échoppes de Pompeï (Chaptal, 1809).
Les techniques de réalisation des céramiques
siliceuses émaillées, du verre et de ce type de pigment étant
très proches, on peut raisonnablement penser que le bleu égyptien
est né de l'artisanat antique de la poterie et des objets vitrifiés.
Malheureusement, on ne possède aucun
texte égyptien d'époque décrivant la technique de
préparation. Nous devons quelques éclaircissement à
Pline et à Vitruve. Ce n'est qu'au début du 19e
siècle que des essais de fabrication du bleu égyptien ont
été tentés d'abord par Davy, puis Girardin, ensuite,
en 1914, par Laurie et enfin, au début des années 1980 par
F. Lavenex Vergès ( Bleus Egyptiens, De la pâte auto-émaillée
au pigment bleu synthétique, Ed Peeters, Louvain-Paris, 1992).
Les connaissances ainsi acquises ont permis
de déduire que ce pigment était obtenu par cuisson dans des
fours de potier de mélanges de silice, de produits calcaires, de
cuivre ou de ses composés et d'un fondant, à l'époque
le natron (sesquicarbonate de sodium naturel).
Tous ces matériaux étaient d'approvisionnement
facile. Seulement, à l'exception de la silice qu'il n'est pas rare
de trouver dans le Sinaï à des teneurs en SiO2 supérieures
à 95 %, les autres matériaux étaient plus ou moins
souillés d'impuretés importantes, entre autres le fer conduisant
à des tonalités vertes.
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Par exemple les sources
de cuivre étaient diverses : azurite, malachite, déchets
de cuivre plus ou moins corrodés, de bronze même, ce qui pourrait
expliquer la teneur particulière en étain des pigments trouvés
à Mycènes, Tirynthe et Pilos, étudiés par S.E.
Filippakis, B. Perdikatis et T. Paradelis ("An Analysis of Blue Pigments
from the Greek Bronze Age", Studies in Conservation, 1976, 21, 143-453).
De plus la stoechiométrie des éléments
nécessaires à la synthèse du bleu idéal étaient
loin d'être respectée, d'où les compositions très
variables trouvées lors d'analyses. Ainsi les résultats analytiques
concernant six échantillons se trouvent entre les valeurs extrêmes
suivantes :
– SiO2 de 52,7 à 88,7 %,
– CuO de 2,1 à 21,3 %,
– CaO de 8,5 à 13,8 %,
alors que la composition théorique pour
la formule donnée plus haut est :
SiO2 63,9 %, CuO 21,17, CaO 14,9%
Il est courant de lire que la température
atteinte dans les fours de potiers égyptiens était de l'ordre
de 750 à 850 °C. Selon Kiefer et Allibert ("Les céramiques
pharaoniques et leur procédé révolutionnaire d'émaillage",
Industrie
céramique, mai 1968, n° 607, 395-402) c'est même jusqu'à
900 °C que des cuissons auraient été réalisées.
Si la température était trop
élevée et l'atmosphère réductrice, il y avait
formation d'oxyde cuivreux rouge, d'où des tonalités brunâtres.
Il n'y a donc rien d'étonnant à
ce que F. Lavenex Vergès ait pu repérer des tonalités
allant de T = 4 (bleu) à T = 6,4 (vert-bleu).
On manque de précisions chiffrées
sur la saturation des couleurs de bleus égyptiens ainsi que sur
leur pouvoir colorant. Lorsque l'on sait que des examens microscopiques
des échantillons trouvés dans les fouilles des sites grecs
de l'âge du bronze (Filippakis et coll., op cité) ont
montré que les particules pigmentaires avaient des tailles variant
entre 30 et 100 micromètres, on comprend qu'ils aient été
décrits tantôt comme des bleus profonds, tantôt comme
des gris bleus peu intenses.
Créé en Egypte, le bleu égyptien
a été utilisé pendant plus de 2 500 ans dans l'ensemble
du bassin méditerranéen jusqu'aux premiers siècles
de l'ère chrétienne pour la réalisation de peintures
murales, soit seul, soit en mélange avec d'autres pigments d'origine
naturelle..
Par exemple, F. Delamare (F. Delamare, L. Delamare,
B. Guineau et G.-S. Odin, "Pigments et colorants de l'Antiquité
au Moyen Age", Ed. du C.N.R.S., 103-116) cite, page 114, des recettes
de " vert céladon " dans des décors allant de 10 av. J.C.
à 15 av. J.C. dans lesquels on trouve systématiquement environ
5 % de bleu égyptien, sans doute pour améliorer les couleurs
obtenues avec des mélanges de céladonite et de glauconie.
Il est encore signalé, après
ce que l'on pourrait appeler sa disparition officielle, dans une fresque
du 9e siècle de notre ère (L. Lazzarini, "The
Discovery of Egyptian Blue in a Roman Fresco of the Medieval Period (ninth
century AD)", Studies in Conservation, 1982, 27, 84-86).
Sans que l'on sache très bien pourquoi,
ce pigment a disparu. Cela est certainement regrettable car, outre une
très bonne résistance chimique, il présentait de très
bonnes qualités de résistance à la lumière. |